Tout avait pourtant bien commencé.  La majorité des musulmans de Montréal a débuté  de concert le Ramadhan, le jeudi 13 septembre 2007. Mais à peine la baraka de Leïlat El-Qadr fut-elle dissipée,  que les trompettes de la discorde ont résonné.  Allait-on, cette année, fêter l'Aïd El-Fitr en même temps, comme une  oumma solidaire ? Serait-il possible de donner une image d'une  communauté unifiée dans une société d'accueil qui analyse le moindre de  nos soubresauts ? Surtout que depuis le débat sur les accommodements  raisonnables, toutes nos tergiversations socio-culturo-religieuses sont  traînées dans une boue médiatique de laquelle on n'est pas prêt de  sortir de sitôt.  
 Eh bien ! non. Certains ont décidé de fêter l'Aïd le vendredi 12 octobre  et d'autres le samedi 13. La communauté musulmane, fidèle à elle-même,  n'a donc pas failli à sa tradition conflictuelle et à son amour  inconditionnel de la division, malgré les éternels larmoiements que même  les minbars en bois ne sont plus capables d'entendre.  
 Mais de quoi sont constituées les prémisses de cette discorde ? On peut,  à mon avis, en compter cinq. Tout d'abord, il y a les purs et durs,  ceux qui prônent la vision de la nouvelle lune à l'aide de l'instrument  par excellence, c'est-à-dire l'oeil : «le début et la fin du mois de  Ramadhan ne peuvent être définis que par la vision oculaire du nouveau  croissant de lune, que ce soit à l'oeil nu ou...» Ensuite, il y a les  scientifiques qui, avec leurs calculs savants peuvent tout prédire : «vu  la faible durée écoulée depuis la conjonction, mais surtout que le  soleil se trouvera très proche de l'horizon et se couchera très  rapidement, on peut en déduire que...» Il y a aussi ceux qui ne veulent  rien savoir : «je suis Algérien, je fête l'Aïd avec l'Algérie. Que  veux-tu que je dise à ma mère lorsque je l'appellerai ? Que j'ai bouffé  les pieds du Ramadhan ou que j'ai jeûné le jour de l'Aïd ?» Une nouvelle  catégorie vient de voir le jour. Elle est probablement un dommage  collatéral de la politique américaine en Irak. C'est la division  (scission serait plus juste) de plus en plus flagrante et médiatisée de  la oumma entre chiites et sunnites. Finalement, la dernière catégorie  regroupe la majorité silencieuse, celle qui est constituée de bons  musulmans qui s'échinent au travail dans un pays d'accueil qui frise  l'intolérance pour leur religion. De bons musulmans qui usent de  multiples subterfuges pour créer l'ambiance d'un mois sacré à leurs  familles en se lamentant d'être loin du bled. De bons musulmans qui se  trouvent déchirés devant un choix qui n'en est pas un et qu'ils  finissent par faire. De bons musulmans qui n'arriveront jamais à  expliquer à leur progéniture pourquoi les enfants d'Untel fêtent l'Aïd  alors qu'eux, non.  
 Il est navrant de constater que ce cirque se pérennise ad vitam  aeternam. Le premier jour de l'Aïd a commencé le jeudi 11 octobre 2007  au Nigeria et finira, avec la grâce de Dieu, le samedi 13 octobre 2007.  Encore mieux, dans certains pays musulmans, deux dates se côtoient,  selon les communautés.  
 De nombreuses questions peuvent venir à l'esprit. Par exemple, pourquoi y  a-t-il un problème avec le début et la fin du mois de Ramadhan et  pourquoi cette difficulté disparaît pour les autres mois lunaires ?  Pourquoi la date de l'Aïd El-Adha ne pose aucunement problème ? Comme,  traditionnellement, il y a un jour de différence entre l'Algérie et le  Maroc en ce qui concerne les dates du début ou de fin (ou des deux) du  mois sacré, on peut facilement compter, depuis l'indépendance de notre  pays, quelques dizaines de jours de différence entre les calendriers  algérien et marocain. Alors, comment cela se fait-il qu'un des deux pays  n'est pas dans le mois du Ramadhan alors que l'autre est en Chaâbane ?  Pire encore, si cette différence existait depuis l'institution du  Ramadhan, c'est-à-dire depuis 1426 ans, il y aurait plusieurs années de  différence entre les deux pays ! Une chance qu'on a le pèlerinage et la  Waqfa au mont Arafat qui réconcilie toute la communauté et qui, surtout,  règle les problèmes du calendrier hégirien.  
 Au fait, y a-t-il quelqu'un qui s'occupe de mettre à jour le calendrier  lunaire ? Faudrait-il faire un ajustement régulier comme celui du  passage du calendrier julien au calendrier grégorien ? C'est le  calendrier de quel pays qui est suivi lorsqu'on est loin du mois de  Ramadhan ? Qu'on se le dise : quelles que soient nos différences, notre  union est beaucoup plus avantageuse que notre pitoyable désaccord, non  seulement pour la communauté, mais aussi pour chacun d'entre nous.  Alors, à quand une vraie date, pour une vraie fête, pour une vraie  communauté ?
Aïd El-Fitr moubarak à tous et à l'année prochaine. Mais, de grâce, cachez vos trompettes.