Il y a deux ans, le 17 avril 2014, nous quittait l'immense Gabriel Garcia Marquez, Gabo. En octobre 1961, il était à Paris. Les policiers de Papon le prennent pour un algérien. Et font ce qu'ils avaient l'habitude de faire...
A l'instar de tous les engagés dont le verbe a rythmé la période des décolonisations, Gabriel Garcia Marquez s'est conjugué, lui aussi, au mode algérien. Au plus fort de la guerre d'indépendance. Au temps de la classe politique algérienne digne de ce nom. Au temps où ''Arfa3 Rassek ya ba'' ne se conjuguait pas au mode de l'agitation folklorique.
On savait le colombien admiratif pour le combat des algériens pour leur indépendance, on savait son opposition à tous les arbitraires. Mais on ne savait pas qu'il y avait une ''histoire algérienne" dans le parcours du Prix Nobel de littérature.
Cette histoire algérienne, je l'ai découverte dans le portrait publié par le journal Le Monde, le 17 avril 2014, le jour où "Gabo" a tiré sa révérence.
En ce deuxième anniversaire du décès de l'auteur de "cent ans de solitude" et du très actuel "automne du patriarche", voici un rappel de sa rencontre "physique" avec le combat des algériens.
Dans ce portrait du Monde on apprend que Gabriel Garçia Marquez débarque, pour la première fois, à Paris, alors que la Guerre de libération nationale est à un jet de pierre des négociations d'Evian. La répression coloniale était loin de se relâcher cependant.
Gabo fréquente alors les milieux du FLN, qu'il s'agisse des militants de la Fédération de France ou des ''Porteurs de valises'', ces justes français qui ont épousé la cause du peuple algérien au péril de leur vie.
Quand Maurice Papon, le préfet de police de Paris, décrète son couvre-feu raciste contre les Algériens et lance les ratonnades sur les Grands Boulevards, les quais de Seine et les Portes de Paris, Gabriel Garcia Marquez se trouve quelque part dans Paris intra-muros.
Son teint basané n'échappe pas à une police sur le qui-vive et prompt à rafler les ''FMA'', ces ''Français musulmans algériens'' dans le viseur du Préfet. Le Colombien est vite aperçu par les policiers de Papon qui le prennent pour un ''raton'' et lui infligent une ''ratonnade''.
"Il arrive à Paris en pleine guerre d'Algérie, fréquente les milieux du FLN et, pour délit de faciès, s'expose ainsi aux "ratonnades" alors pratiquées par la police française" lit-on dans le journal Le Monde.
Marquez, l'algérien, en 1955
Ce bout de phrase dans l'article du Monde m'a poussé à faire des recherches. Et j'ai découvert mieux, bien mieux. Gabriel Garcia Marquez qui raconte lui-même comment il était algérien, malgré lui mais sans que cela ne lui déplaise, dans ce Paris où il est venu en 1955. C'est dans un article publié dans le journal espagnol El Païs.
Je l'ai découvert en lisant avec un immense plaisir, l'article d'Ahmed Bensaada, consacré au grand écrivain. Dans cet article Garcia Marquez raconte qu'invité en Algérie, en 1979, pour la commémoration de la révolution du 1er novembre, il a déclaré à un "journaliste quelque chose qui semblait difficile à croire : la révolution algérienne est la seul combat pour lequel j'ai été emprisonné"
Cet article publié dans El Pais, le très remercié Bensaada en a traduit un passage éloquent, le voici.
" Un soir, en sortant d'un cinéma, je fus arrêté dans la rue par des policiers qui me crachèrent au visage et me firent monter sous les coups dans un fourgon blindé. Il était rempli d'Algériens taciturnes, qui eux aussi avaient été cueillis avec coups et crachats dans les bistrots du quartier.
Comme les agents qui nous avaient arrêtés, ils croyaient eux aussi que j'étais algérien. De sorte que nous passâmes la nuit ensemble, serrés comme des sardines dans une cellule du commissariat le plus proche, tandis que les policiers, en manches de chemise, parlaient de leurs enfants et mangeaient des tranches de pain trempées dans du vin. Les Algériens et moi, pour gâcher leur plaisir, nous veillâmes toute la nuit en chantant les chansons de Brassens contre les excès et l'imbécillité de la force publique".
Gabo était bien un algérien !