À contrecourant de l’unanimisme médiatique et à leurs premières manifestations, Ahmed Bensaada entreprit de questionner le « caractère spontané » des révolutions du « Printemps arabe ». Le titre du livre qui en sortira, « Arabesque américaine », annonce, à lui tout seul, l’entrelacs des réseaux, des organisations-relais, des think-tanks, des financements, une immense toile coordonnée par la CIA et financée par les autorités américaines les plus officielles.
Par Mohamed Bouhamidi
Date de publication: 12 juin 2018
Ce travail souterrain, inconnu même du public tenu pour politiquement cultivé, est pourtant un travail tout à fait officiel. Il a vu le jour sous l’administration de G. Bush et s’est poursuivi comme programme de l’Etat profond dans les administrations suivantes. Peu de gens savent que la politique étrangère américaine est menée en fonction de doctrines qui fondent et inspirent son action sur des décennies. Ces doctrines deviennent une partie constitutive de la conscience consensuelle des élites politiques étasuniennes et toujours la source d’inspiration de la production artistique, films et téléfilms en priorité.
Bensaada nous révèle l’existence, le fonctionnement, l’exécution et la flexibilité d’une planification à long terme du « régime change » dans des pays arabes clés pour la domination et la maîtrise de la région MENA dont notre pays fait partie.
Cette planification pour les pays arabes est un développement des plans précédents des révoltions de couleurs des anciens pays de l’Est qu’iol fallait définitivement détacher des survivances de l’utopie communiste.
Pour notre pays, nous apprenons que des associations, des syndicats et des partis politiques ont bénéficié de généreux financements sur de longues périodes et que certaines ne sont que des annexes d’associations de droit français. Nous apprenons également beaucoup sur la disponibilité d’acteurs de la vie politique, syndicale et associative à parler de notre situation nationale avec des diplomates de l’ambassade américaine les personnels d’organismes américains et à traduire leurs conciliabules secrets sur le champ de notre politique nationale.
Cependant, l’analyse du cas syrien constitue certainement la partie la plus effrayante et la plus instructive de ce livre. Les institutions de la subversion US ont appliqué les méthodes et les plans les plus sophistiqués pour détruire ce pays, y compris la méthode de changement de régime sans changements d’hommes combiné à la création d’une opposition téléguidée dotée des médias et de moyens considérables et à la préparation du passage rapide du changement pacifique à la guerre généralisée menée par autant de fractions que de futurs cantons ethniques ou théocratiques à créer.
Sept ans après la parution de ce livre, la question reste légitime de savoir si un tel travail de déconstruction des « naïvetés démocratiques » a pu être utile aux consciences citoyennes, aux dirigeants des Etats encore menacés par ces projets de « révolution des jasmins », aux oppositions nationales authentiques ? Un tel résultat ne pouvait être possible que dans un rapport de forces qui conteste significativement l’hégémonie du mainstream. La parole de ce mainstream reste dominante et détermine encore pour longtemps la perception des opinions publiques et les travaille bien plus sur le registre des émotions que sur le terrain de la connaissance des faits.
Il nous reste, en refermant le livre à méditer sur un de ses aspects majeurs : la création d’une conscience politique spontanée et immédiate de ces révolutions de couleurs ou de fleurs. Une culture politique se formerait ainsi par des actions volontaristes sans lien et sans continuité avec le substrat historique des peuples concerné ? Bensaada nous en donne la clé par la recension des activistes de toutes espèces, les cyber-activistes, les militants appointés des ONG, les réseaux des médias financés de l’étranger, l’occupation de tous les terrains fertiles en colères durables ou passagères, l’exploitation de tous les mécontentements et, intelligence suprême des révolutions, la recherche attentive et permanente de la coalescence de ces petites et grandes frustrations.
Bensaada met sous nos yeux une mise en œuvre d’un modèle connu révolutions : la synergie entre les possibilités de changements ouvertes par les crises et l’existence d’un groupe organisé de politiciens professionnels sinon déterminés, à la mode léniniste, du moins fortement motivés par l’argent versés aux ONG et autres activistes.
Nous avons alors affaire à une armée de type nouveau créée, formée, entraînée aux guerres de nouvelles générations, à des professionnels des « régime change » et de destruction des Etats-nations.
La relecture « Arabesque américaine » peut encore nous en apprendre beaucoup sur cette armée du clair-obscur en ces moments centrifuges de notre nation.
M.B
Arabesque américaine – Ahmed Bensaada. avril 2011, Éditions "Michel Brûlé", Montréal - mars 2012, Éditions "Synergie", Alger Arabesque$– Investig’Action 2015 Belgique – 2016 ANEP Algérie.