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Plaidoyer pour des classes branchées en Algérie

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Il est très réconfortant de savoir que certains « ex »-collègues s’inquiètent de la situation des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) en Algérie [1]. En effet, l’article paru dans les éditions des 13 et 14 mars 2007 dans les colonnes du Quotidien d’Oran relate une situation des plus alarmantes [2,3]. La position peu enviable qu’occupe l’Algérie en matière de TIC est peu compréhensible vu la proximité de notre pays de l’Europe, le nombre d’institutions éducationnelles et l’engouement des jeunes pour tout ce qui touche aux nouvelles technologies.

Déjà, en 2002, le Rapport arabe sur le développement humain [4] notait clairement le retard pris par l’Algérie dans ce domaine, loin de nos voisins maghrébins et à des années-lumière des pays du Golfe, dévoilant « une fracture numérique entre pays arabes ». Ce rapport exhaustif mentionnait aussi que « les TIC permettront d’accélérer le rythme du renouvellement de l’information, permettant ainsi aux pays arabes de combler leur retard en matière de connaissance ». Les chiffres de l’édition 2003 du même rapport sont éloquents eux aussi. Il y est mentionné qu’il n’y avait que 18 ordinateurs pour 1000 habitants dans le monde arabe comparativement à 39 pour l’Amérique Latine alors que la moyenne mondiale était de 78,3 pour 1000. En matière d’accès à Internet, la disparité est aussi abyssale : 1,6% de la population arabe contre 68% au Royaume Uni ou 79% aux Etats-Unis [5]. Les chiffres les plus récents en matière d’utilisation de l’Internet montrent que seulement 5.7% de la population algérienne utilise ce moyen de communication contre 9.2% de Tunisiens et 15.1% de Marocains [6]. Bien qu’apparemment très prometteur, le projet OUSRATIC ne donne malheureusement pas les résultats escomptés. Effectivement, le Rapport mondial  sur la Société de l’information 2006 de l’IUT (Union Internationale des Télécommunications) montre que les projections de ce programme à l’horizon 2010 ne donneront qu’un taux de pénétration de moins de 10% de foyers algériens comparativement à 20% pour un programme tunisien similaire [7]. En outre, en ce qui concerne la création de sites Web, on ne compte, aujourd’hui, qu’environ 1400 sites « .dz » contre 4000 sites « .tn » et 6000 sites « .ma ». Notons que la France, à elle seule, compte pas moins de 432 000 sites dans le domaine « .fr »! [8].

Cet état des lieux nous permet de constater aisément que la situation de l’Algérie en matière de TIC est peu reluisante comparativement aussi bien à nos voisins immédiats, qu’aux africains ou aux pays arabes de la région du Golfe.

Alors pourquoi parler d’université sans craie et sans tableau? Ne faudrait-il pas plutôt parler d’abord d’écoles primaires ou secondaires avec des laboratoires d’informatique et des classes branchées ouvertes sur le monde? Les responsables de l’éducation ne devraient-ils pas implanter les nouvelles technologies à des stades précoces du cursus scolaire comme ont su le faire intelligemment les pays industrialisés?

À ce titre, la réforme de l’éducation primaire et secondaire qui bat son plein actuellement au Québec donne aux TIC un rôle prépondérant dont on devrait s’inspirer. Le changement radical dans le paradigme éducationnel est axé sur des « compétences transversales » et non sur les contenus notionnels qu’on a coutume d’utiliser pour transmettre le savoir. Une compétence transversale se définit comme un ensemble d’habiletés nécessaires pour accomplir une tâche. Parmi les 9 compétences transversales communes définies dans le nouveau programme éducatif québécois, il y en a une qui est explicitement liée aux TIC. Il s’agit de la 6ème qui s’énonce  « Exploiter les TIC » et qui a comme composantes l’appropriation des technologies, la mettre au service de ses apprentissages et évaluer l’efficacité de son utilisation [9]. Avec un tel contrat sur les bras, on n’a pas l’ombre d’un doute que l’école joue un rôle moteur dans l’intégration des TIC, non seulement dans l’enseignement, mais aussi, par ricochet, sur toutes les sphères de la société. L’investissement considérable consenti au secteur de l’éducation dans la dernière décennie a permis de mettre les écoles québécoises au diapason des standards  occidentaux. Toutes les écoles primaires et secondaires sont dotées de laboratoires d’informatique multidisciplinaires possédant un accès à Internet. C’est aussi le cas des classes de cours qui possèdent des prises Internet qui ont été installées grâce au programme quinquennal d’équipement des écoles durant la fin des années 90. Il y est donc facile de passer d’un enseignement magistral à un enseignement utilisant les TIC à l’aide d’un « chariot multimédia » qui consiste en une table mobile sur laquelle sont fixés un ordinateur et un projecteur multimédia.

Contrairement aux croyances, l’équipement matériel n’est pas la panacée, loin de là. Aussi faut-il former les enseignants capables d’intégrer ces nouvelles technologies de manière effective et efficace dans leur pratique quotidienne. Il est impératif de ne pas utiliser les TIC comme un support uniquement audiovisuel et ne pas retomber sur l’ancien débat concernant le rôle de l’audiovisuel dans l’enseignement.

Au Québec de nombreuses solutions ont été mises de l’avant pour la formation des enseignants. Notons, en particulier, le congrès de l’AQUOPS (Association québécoise des utilisateurs de l’ordinateur au primaire-secondaire) [10]. Cet événement, qui en est à sa 25ème édition, connaît une grande popularité. Il permet aux enseignants de partager leurs pratiques pédagogiques et de faire connaître des dispositifs pédagogiques dédiés au monde de l’éducation. Parmi ces derniers, Cyberscol est considéré comme un leader dans le domaine de l’intégration des TIC dans le monde de l’éducation. Ce consortium de sites éducatifs touche aussi bien aux sciences qu’aux mathématiques ou à la littérature [11]. Ces sites sont conçus et administrés par des professionnels de l’éducation, passionnés de nouvelles technologies et travaillant, pour la plupart, bénévolement.

Les TIC ne se résument pas à l’envoi de courriels et au clavardage. Elles permettent aussi la création de savoir par l’intermédiaire de pratiques pédagogiques novatrices. Il est même possible de réaliser des projets entre des apprenants séparés par des milliers de kilomètres et de les faire travailler en « approche coopérative » [12]. Cette « pédagogie par projet » permet aux apprenants d’être les artisans de leur propre apprentissage [13].

D’aucuns pourraient m’accuser de comparer l’Algérie au Québec,  province d’un pays occidental riche et développé. J’aurais deux arguments pour eux. Primo, les TIC sont une technologie très récente qui n’est pas encore totalement maîtrisée par tous les acteurs de l’éducation, même au Québec. Si l’éducation algérienne saute dans le train de ces nouvelles technologies assez rapidement et consent les investissements adéquats pour le matériel et, surtout, la formation, il y a de fortes chances que la fracture numérique s’amenuise, voire se résorbe. Secundo, de nombreux pays dits du Sud se sont vaillamment engagés dans la maîtrise des TIC. Prenons l’exemple des Emirats Arabes Unis (en tête des pays arabes) avec l’« Internet City » à Dubaï, de la république de  Maurice (en tête des pays africains) avec le projet « Cyber City » ou la Malaisie  avec son « Multimedia Super Corridor ». Même des pays comme le Vietnam ont fait de grands progrès dans ce domaine. De nombreux collèges et lycées à travers le pays sont équipés de laboratoires à la fine pointe de la technologie. Par exemple, le lycée Le Hong Phong de Saigon, auquel j’ai rendu visite en 2005, possède 4 laboratoires d’informatique très modernes. Ce lycée d’excellence, fleuron de l’éducation vietnamienne, forme l’élite du pays. Même si l’enseignement y reste quelque peu classique, de nombreux efforts sont consentis dans le développement de l’expertise des enseignants surtout via des programmes gérés et financés par l’AUF (Agence universitaire de la francophonie).

L’article auquel se réfère ce texte  [2,3] semblait, d’autre part, sous-entendre que l’enseignement de la Physique avec des logiciels de présentation comme PowerPoint pouvait augmenter le nombre d’étudiants dans cette discipline. Certes, ces outils sont un atout non négligeable à la disposition des enseignants pour illustrer de manière efficace leurs cours. Mais, comme mentionné précédemment, l’équipement matériel n’est pas une fin en soi. Ce qui attire les étudiants dans une discipline donnée, ce sont les débouchés professionnels et les possibilités de carrière. J’en veux pour preuve la situation au Québec. Les salles de cours des lycées et des universités y sont quasiment toutes équipées de matériel sophistiqué pour l’enseignement, non seulement des sciences, mais aussi de toutes les disciplines. L’enseignant n’a besoin que de sa clé USB qu’il branche sur l’ordinateur de la classe. Si quelque chose ne tourne pas rond, il n’a qu’à utiliser le téléphone de la salle, et, quelques minutes plus tard, un technicien se présente pour résoudre le problème. Eh bien, avec tout cela, le nombre d’étudiants en Physique reste toujours faible dans toutes les universités québécoises, loin derrière les sciences médicales, la biologie ou le génie.

En réalité, le problème des filières scientifiques est beaucoup plus général qu’il ne paraît. La désaffection des étudiants pour les sciences est un phénomène qui touche tous les pays occidentaux. Ce problème est si sérieux qu’il a fait l’objet, en 2006, d’un rapport d’orientation de l’OCDE [14]. En France, par exemple, le nombre d’inscriptions en première année universitaire de sciences est passé de 63410 en 1995 à 38200 en 2005, soit une diminution de près de 40% en 10 ans. Différentes hypothèses ont été avancées pour l’explication de cette problématique. De récentes études montrent que « les bons élèves de classes terminales S ne répugnent pas à la difficulté des études ni aux perspectives de carrières offertes par la recherche et l’enseignement. Ils craignent, comme tout le monde, le chômage. » [15].

Les TIC ne sont pas une mode passagère. Au contraire, elles façonnent notre rapport à l’apprentissage, elles modifient notre façon de travailler et de communiquer et sont un outil efficace pour la démocratisation du savoir. Néanmoins, il ne faut en aucun cas s’enfermer dans le rôle passif d’utilisateur des technologies, mais il est impératif de créer des contenus et participer à l’essor mondial de l’Internet. Il est primordial de s’y atteler rapidement pour, au moins, rattraper notre retard ne serait-ce que par rapport à nos voisins maghrébins. À cet égard, des programmes d’encouragement pour la création de contenus éducationnels de qualité doivent être subventionnés par les pouvoirs publics et encadrés par des professionnels de l’éducation.

À quand une bibliothèque virtuelle arabe où les œuvres de nos auteurs préférés pourront  être consultées en ligne comme c’est déjà le cas pour les œuvres de langue française ou anglaise? Voilà un chantier des plus nobles pour la Ligue des Pays Arabes : unificateur, progressiste, qui « permettra aux pays arabes de combler leur retard en matière de connaissance » et, surtout, loin des sempiternelles querelles byzantines.

Une université sans craie ni tableau, c’est un vœu louable. Mais pas sans des classes primaires et secondaires branchées et ouvertes sur le monde, résolument tournées vers le futur. Un futur plein de promesses.


Références:

 

  1. A. Bensaada a été, durant les années 80, enseignant et directeur-adjoint de ce qui était l’Institut de Physique de l’Université d’Oran.
  2. Brahmi-Berras, Dalila et R. Brahmi. 2007. « Pour une université sans craie et sans tableau (1ere partie)». Le Quotidien d’Oran, 13 mars, p. 7.
  3. Brahmi-Berras, Dalila et R. Brahmi. 2007. « Pour une université sans craie et sans tableau (2eme partie)». Le Quotidien d’Oran, 14 mars, p. 7.
  4. Rapport arabe sur le développement humain 2002. « Créer des opportunités pour les générations futures ». Programme des Nations Unies pour le Développement.
  5. Rapport arabe sur le développement humain 2003. « Vers une société du savoir ». Programme des Nations Unies pour le Développement.
  6. Internet World Stats. (Page consultée le 24 mars 2007). Internet usage statistics for Africa, [En Ligne]. Adresse URL: http://internetworldstats.com/stats1.htm#africa
  7. International Telecommunications Union (ITU). 2006. (Page consultée le 24 mars 2007). World Information Society Report 2006. Geneva: ITU, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.itu.int/osg/spu/publications/worldinformationsociety/2006/wisr-web.pdf
  8. ITMag. (Page consultée le 25 mars 2007). Le virtuel jette les algériens sur la toile, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.itmag-dz.com/spip.php?article622
  9. MELS. (Page consultée le 25 mars 2007). Programme de formation de l’École québécoise, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.mels.gouv.qc.ca/DGFJ/dp/programme_de_formation/secondaire/prformsec1ercycle.htm
  10. AQUOPS. (Page consultée le 25 mars 2007). Association québécoise des utilisateurs de l’ordinateur au primaire-secondaire, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.aquops.qc.ca/
  11. Cyberscol. (Page consultée le 25 mars 2007). Projets éducatifs, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.cyberscol.qc.ca/
  12. Science Animée. (Page consultée le 25 mars 2007). Projet Québec-Vietnam, [En Ligne]. Adresse URL: http://mendeleiev.cyberscol.qc.ca/scienceanimee/Projets/projets2006/Scanim0506/Vietbec.htm
  13. Science Animée. (Page consultée le 26 mars 2007). Diaporamas scientifiques, [En Ligne]. Adresse URL: http://mendeleiev.cyberscol.qc.ca/scienceanimee/
  14. Rapport d’orientation de l’OCDE, Évolution de l’intérêt des jeunes pour les études scientifiques et technologiques, mai 2006. Ce travail peut être téléchargé à l’adresse URL : http://www.oecd.org/dataoecd/60/24/37038273.pdf
  15. CONVERT, Bernard. « Y a-t-il une crise des vocations scientifiques ? », Pour la science, n°353, mars 2007, p.16-19.
 

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