Orient Occident

Qui ne se souvient pas du célèbre roman de Margaret Mitchell « Autant en emporte le vent » porté à l’écran en 1939. Esthétiquement admirable, cette œuvre relate, sur fond de guerre de Sécession, l’écroulement d’un mode vie et des « valeurs » prônées par un Sud blanc, raciste et esclavagiste.

 

J'ai honte d'être Arabe et de constater une fois de plus que la déliquescence de notre arabité a atteint des abîmes insoupçonnables. Cette arabité dépravée qui vivote au sein d'une Ligue de 22 pays qui se sont ligués les uns contre les autres et qui n'arrivent ni à ouvrir une pitoyable frontière, ni à faire cesser les pluies de phosphore blanc et dont les dirigeants se sont cloîtrés dans un mutisme complice, alors que le décompte macabre des victimes de Gaza ne cesse de s'égrener inexorablement et d'alourdir nos peines. Des dirigeants serviles qui devraient prendre de la graine sur le président Chavez qui, ni Arabe, ni musulman, ni Africain, ni lavette, a expulsé l'ambassadeur de l'État hébreu en fustigeant l'offensive sur Gaza comme il l'avait fait en 2006 lors de l'ignoble agression sur le Liban. Qu'attendez-vous Égypte, Jordanie et Mauritanie ? Avez-vous peur qu'on vous coupe les vivres?

J'ai honte que le monde musulman auquel j'appartiens soit une nation dont les droits et les croyances sont régulièrement traînés dans la gadoue, et qui n'a trouvé que des prières et des slogans à offrir contre les DIME (Dense Inert Metal Explosive) qui déchiquètent nos frères et soeurs en direct, sur tous les écrans du monde, les transformant à dessein en cobayes humains. 1,2 milliard de musulmans impuissants devant la détresse, le malheur et l'appel au secours de leurs coreligionnaires injustement massacrés.

J'ai honte d'avoir toujours enseigné à mes élèves que la justice, la solidarité et la démocratie étaient des gages de la fraternité et de l'égalité entre les peuples. J'aurais dû, bien au contraire, paraphraser La Fontaine et leur expliquer que la raison du plus fort est toujours la meilleure, que c'est l'injustice qui mène le monde, que les êtres humains ne sont pas égaux, que la vie de ceux qui ont des armes et de l'argent est plus importante que celle des moins nantis, ceux qui n'ont rien pour se défendre, ceux qui n'ont que la mort à offrir en échange.

J'ai honte d'avoir longtemps cru que l'ONU était un Etat suprême qui garantissait les droits de tous ses pays membres et que son rôle était de régler les conflits, de protéger le faible et de jeter la pierre au méchant. Il s'avère que cette organisation est un vulgaire machin (comme l'a si bien dit un homme d'État français), une institution sclérosée qui n'a pour mission que de pondre, de peine et de misère, des résolutions qui ne sont, de toute façon, jamais respectées par l'État hébreu. Et que dire du TPI ? Dixit Patrick Besson dans Le Point : «L'opération «Plomb durci» de Tsahal dans la bande de Gaza ? Heureusement que les Israéliens ne sont pas Serbes, sinon Tzipi Livni et Ehoud Olmert seraient en route pour le Tribunal international de La Haye». Mais, mon cher, ces deux là ne sont pas Serbes et encore moins Rwandais !

J'ai honte d'être citoyen d'un des plus merveilleux pays de la planète, en l'occurrence le Canada, précurseur des missions de la paix à travers le monde, et qui, maintenant, se fourvoie dans une politique de soutien inconditionnel à un Etat voyou qui se targue d'être la seule démocratie du Moyen-Orient et qui trucide hommes, femmes et enfants sans distinction. Le Canada qui a été un des plus grands pourvoyeurs de Casques Bleus de l'ONU dans de nombreux conflits militaires et qui, maintenant, est le SEUL pays qui vote contre une résolution du Conseil des Droits de l'Homme des Nations unies (UNHRC) qui « condamne vigoureusement l'opération israélienne » dans la bande de Gaza!

J'ai honte d'avoir pensé que les médias occidentaux étaient des chantres de la liberté d'expression, des ténors de l'analyse objective et des défenseurs de la vérité. Il s'avère que leur langue est faite d'un bois aussi noir que l'ébène et aussi dur que le bois pétrifié. Eux, qui se pensent gardiens de l'éthique journalistique, transforment la victime en bourreau et le bourreau en ange qui donnent une leçon aux Palestiniens qui ont osé troubler le sommeil des habitants de Sderot et les empêcher d'aller faire une marche avec leurs enfants dans le parc (JT de France 2, 30 octobre 2008). Savez-vous au moins que Sderot a été construite sur les cendres de la ville palestinienne de Najd rasée par les sionistes en 1948 ?

J'ai honte d'avoir, il y a plusieurs années, payé un billet pour écouter Enrico Macias, cet individu qui se pense plus Algérien que les Algériens et qui a été un des premiers à manifester pour que le génocide de Gaza se poursuive. Avez-vous perdu la raison, monsieur le troubadour pied-noir ? Avez-vous oublié les paroles du « Grand pardon » ? Ou alors ce n'est que l'appât du gain qui vous fait chanter ce que vous ne pensez pas ? Et dire que c'est vous qui chantiez « Enfants de tous pays, tendez vos mains meurtries, semez l'amour et puis donnez la vie » ? Les enfants de Gaza tendent leurs mains meurtries vers le ciel, et celles de l'État sioniste sèment la haine et donne la mort.

J'ai honte d'être un être humain et de me voir contraint de partager un bagage génétique avec les bourreaux de Gaza, d'avoir les mêmes chromosomes que ces génocidaires irresponsables qui ont oublié leur propre histoire.Et puis, en y pensant bien, les êtres capables de telles barbaries sont-ils vraiment humains ?

 


Cet article a été publié le 18 janvier 2009 par le "Quotidien d'Oran" (p.8)

Consultation de l'article sur le site du journal:

http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5114122


 

 

"Tears of Gaza" (Les larmes de Gaza)

Un film de Vibeke Løkkeberg

 

Cliquez sur l'affiche pour visionner le film

 

Film émouvant sur les atrocités commises par les Israéliens lors du massacre de Gaza. À la 39e minute, il y est question de la famille Abou Halima à laquelle j'ai consacré tout un article en décembre 2009.

http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=77:lettre-a-ghada-derniere-victime-du-plomb-durci&catid=37:societe&Itemid=75

 

 

Note :

Vibeke Løkkeberg est née en Norvège. Elle est actrice, réalisatrice, scénariste et écrivaine. Elle a réalisé plusieurs longs métrages dont The Revelation (1977), Betrayal (1981), Hud (1986), projecté à la section "Un Certain Regard" au festival de Cannes, Måker (1991), Der gudene er døde (1993), et Tears of Gaza (2010).

Vibeke Løkkeberg was born in Norway. She is an actor, director, screenwriter and author. She has directed several features, including The Revelation (1977), Betrayal (1981), Hud (1986), which screened in the Un Certain Regard section at the Cannes Film Festival, Måker (1991), Der gudene er døde (1993), and Tears of Gaza (2010).

 

Les démocraties occidentales ont érigé la liberté d’expression en dogme absolu sur laquelle elles assoient les bases de sociétés égalitaires et progressistes. A ce sujet, N. Chomsky et R. W. McChesney expliquent qu’une démocratie, pour bien fonctionner, doit répondre à trois critères essentiels : l’absence de disparités marquées de la richesse de la société, l’existence d’un fort sentiment d’appartenance des citoyens à la communauté et la présence d’un système de communications efficace qui informe et mobilise l’ensemble des citoyens et les amène à participer réellement à la vie politique. Ces trois critères étant indissociables, la structure des médias, leur contrôle et leur financement sont d’une importance capitale pour les sociétés démocratiques [1]. En outre, une vraie démocratie suppose un respect de ses minorités et son droit à l’expression. Ce droit est si important que l’Union Européenne en a fait une condition d’adhésion sine qua non pour les nouveaux membres. On peut lire, d’autre part, sur le site du Conseil de Presse du Québec que des plaintes peuvent être déposées contre les médias pour de nombreux motifs dont : la pondération de l’information (sensationnalisme, insistance indue), le respect des groupes sociaux, l’équilibre et l’exhaustivité de l’information ou même l’impartialité de l’information [2].

Mais qu’en est-il réellement de la visibilité des minorités dans les médias occidentaux? Elle est malheureusement trop souvent dictée par le sensationnalisme et la recherche d’une audience facile. Elle exacerbe un repli identitaire de la majorité derrière les suffixes « nous-autres » et « de souche » hermétiques et réducteurs qui n’ont pour effet que d’ostraciser les minorités et d’augmenter les taux d’écoute et les tirages.

À ce sujet, l’actualité récente foisonne d’exemples divers : la chasse aux roumains en Italie, la « guerre » contre le voile islamique en France, l’affaire des caricatures au Danemark ou le cirque médiatique provoqué par l’affaire des accommodements raisonnables au Québec.

Ce qu’il y a d’étonnant dans ce phénomène, c’est sa relative similitude dans tous les pays occidentaux, malgré des lois et des règles d’éthique au demeurant très vertueuses.

Malheureusement, l’application de ces règlements en faveur des minorités reste au stade de voeu pieux et se heurte toujours au sacro-saint mais ô combien fallacieux principe de liberté d’expression. Cette locution a été, ces derniers temps, trop souvent brandie pour stigmatiser l’autre, le minoritaire, l’immigrant, celui qui n’est pas « de souche ». Cela est surtout vrai pour les communautés musulmanes qui, de l’avis de plusieurs bien-pensants occidentaux, dérangent le plus. L’islam n’est-il pas, d’après eux, une religion rétrograde qui est incompatible avec la démocratie, voile les femmes et empêche tout progrès social?

N’a-t-on pas vu, en France, un problème aussi général que celui des signes religieux ostentatoires ne se réduire qu’à un simple problème du voile islamique? Les multiples débats télévisés sur les accommodements raisonnables au Québec ne se sont-ils pas implicitement attaqués à l’Islam et son incongruité avec une société moderne?

Jamais la « littérature » mondiale n’a vu, en un laps de temps aussi court, autant de livres ayant pour sujet la maltraitance de la femme musulmane : Le voile de la peur (Assia Shariff, Algérie), Défigurée (Rania Al-Baz, Arabie Saoudite), Brûlée vive (Souad, Palestine) ; Mariée de force (Leila, Maroc) ; La femme lapidée de (Freidoune Sahebjam, Iran) ; Visage volé (Latifa, Afghanistan), Vendues ( Zana Muhsen, Yémen), Déshonorée (Mukhtar Mai, Pakistan); Bas les voiles ! (Chahdortt Djavann, Iran), Dans l’enfer des tournantes (Samira Bellil, Algérie) , Née en France. (Aicha Benaïssa, Algérie). Et cette liste d’ouvrages qui ornent les devantures des librairies occidentales est loin d’être exhaustive.

On n’est plus du tout dans le temps de l’américaine Betty Mahmoody qui, avec son livre « Jamais sans ma fille », a lancé le bal de ce genre de littérature féminine. Maintenant, les titres sont cinglants et racoleurs: les femmes musulmanes sont voilées, mariées de force, brûlées, défigurées, déshonorées, violées et, finalement, lapidées. Chose étrange pourtant : comment se fait-il que des sociétés musulmanes aussi rétrogrades puissent enfanter autant de talents littéraires féminins alors que les femmes n’y ont aucun droit ni aucune éducation? Ou alors servent-elles de prête-noms à des auteurs qui ont trouvé une mine d’or dans ce genre littéraire?

Il est vrai que les occidentaux sont friands de ces histoires exotiques de "femmes malmenées par les traditions d’une époque révolue". Pour vous convaincre de la véracité de mes propos, voici les péripéties d’une expérience éloquente à ce sujet.

Sidéré par l’ampleur du brouhaha médiatique généré par les désormais tristement célèbres accommodements raisonnables au Québec, j’ai décidé d’écrire, en janvier 2007, une longue lettre au quotidien montréalais La Presse où j’exposais mes idées : les idées d’un honnête ex-immigrant arabo-musulman qui vit au Québec depuis plus de 18 ans, docteur en physique, fier de ses racines et de sa culture mais exaspéré par les propos xénophobes des médias québécois. Il est vrai que les points soulevés dans ma lettre n’allaient pas dans le sens de ce que pense la plupart des Québécois, mais j’ai voulu attirer l’attention sur le fait que la majorité des immigrants sont des personnes qui contribuent à l’essor du Québec à divers niveaux et que la tournure médiatique du débat n’avait pour effet que d’exacerber l’intolérance ethnique. Quelle ne fût ma surprise lorsque j’appris que mon texte ne serait pas publié.

C’est à ce moment que j’ai eu l’idée de tester le système de publication de cette vénérable institution. Mon hypothèse était la suivante : si mes idées allaient dans le sens de ce que voulait entendre les faiseurs d’opinion, est ce que ma lettre serait publiée?

J’ai donc inventé un être fictif qui possède les mêmes initiales que moi : Assia Benkaddaba, une femme arabo-musulmane qui a été traumatisée, dans son pays, par des islamistes et qui avait une profonde aversion pour toute barbe ou voile. Un personnage qui aurait pu aisément sortir d’un des livres cités auparavant. Madame Benkaddaba avait fui son pays pour se réfugier au Québec, Terre de liberté et des Droits humains et s’étonnait de voir les immigrants demander de quelconques droits et semer la zizanie dans une province si accueillante. Vous devinez la suite? Le texte a été accepté pour publication en moins d’une heure après sa soumission par courriel. Une aubaine pour un texte écrit en quelques minutes!

Peut-on parler de liberté d’expression ou plutôt de liberté d’expression conditionnelle?

J’ai évidemment déposé une plainte au Conseil de presse du Québec pour dénoncer les agissements partiaux de ce journal, plainte qui a été acceptée non sans peine. Dans un premier jugement le Conseil ne m’a pas donné raison, arguant que tout journal a le droit de publier les articles qu’il désire [3]. J’ai bien entendu interjeté appel de cette décision qui faisait fi des principes de base de la déontologie et des motifs de plaintes listés au début de ce texte et prônés par ce même Conseil.

Citons quelques autres exemples ou la liberté d’expression est conditionnelle.

En 2005, la Conférence des évêques de France a saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris pour interdire l’affichage d’une publicité parodiant le célèbre tableau « La Cène » de Léonard de Vinci pour motifs blasphématoires contre les Chrétiens. Le juge ordonna le retrait de l’affiche en question car « l’injure ainsi faite aux catholiques apparaît disproportionnée au but mercantile recherché ». En 2007, des organisations islamiques ont poursuivi, devant le même tribunal, le magazine Charlie Hebdo pour « injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion » à cause de la publication de caricatures désobligeantes sur le prophète Mohamed (QSSSL). Comme par hasard, le même juge (M. Jean-Claude Magendi) qui a donné raison à la Conférence des évêques de France a rejeté les demandes des associations musulmanes en précisant que « dans une société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions, quelles qu’elles soient » [4].

En 2004, l’AGRIF, une organisation catholique française d’extrême-droite a eu gain de cause dans sa poursuite contre une association de lutte contre le SIDA. Elle s’était sentie injuriée par une campagne de promotion utilisant le slogan «Sainte-Capote, protège-nous». Dans son brûlot révoltant, Oriana Fallaci [5] traîna les musulmans dans la boue. Si le mot musulman y était remplacé par le mot juif, non seulement le livre ne serait jamais paru, mais l’auteur aurait certainement passé le restant de ses jours derrière les barreaux. Bien que poursuivie par trois associations antiracistes en 2002, la journaliste italienne a été acquittée: le procès a été annulé pour vice de procédure et le livre est toujours en vente.À croire qu’au nom de la même liberté d’expression, les Chrétiens, personnes éminemment sensibles, peuvent s’offusquer d’un relookage moderne d’un chef-d’oeuvre du 15e siècle ou de la sanctification d’un préservatif, mais que les Musulmans doivent accepter que leur prophète soit représenté avec une bombe sur la tête ou que leur religion soit souillée par le fiel d’une journaliste islamophobe. Ces quelques exemples nous montrent que la liberté d’expression de la majorité se fait souvent au détriment des droits fondamentaux des minorités, surtout la musulmane.

Pourtant de nombreuses chartes comme celle du Conseil de l’Europe stipulent que « le respect des droits des minorités et des personnes qui en font partie est un facteur essentiel de paix, de justice, de stabilité et de démocratie» [6].

Une dernière prière pour que ces recommandations ne restent de vains mots: «Saint-Média, protège-nous!»

 



Références:

 

1. Noam CHOMSKY et Robert MC CHESNEY, Propagande, médias et démocratie, éd. Ecosociété, Montréal, 2004, 200 p.

 

2. Conseil de presse du Québec. (Page consultée le 30 décembre 2007). Le processus de plainte, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.conseildepresse.qc.ca/index.php?option= com_content&task=view&lang=&id=231&Itemid=149

 

3. Conseil de presse du Québec. (Page consultée le 1er janvier 2008). Les décisions rendues par le conseil, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.conseildepresse.qc.ca/index.php?&option= com_content&task=blogcategory&id=33&Itemid=155&did=1588

 

4. Libération.fr. (Page consultée le 2 janvier 2008). Procès Charlie: les caricatures de Mahomet relaxées, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.liberation.fr/actualite/s.../242804.FR.php

 

5. Fallaci, Oriana. La rage et l’orgueil, Paris, Plon, 2002, 195 p.

 

6. Conseil de l’Europe. (Page consultée le 2 janvier 2008). Recommandations relatives aux droits des minorités, [En Ligne]. Adresse URL: http://assembly.coe.int/Documents/Ad...0/frec1134.htm

 

« Le monde est du côté de celui qui est debout » est, paraît-il, un proverbe arabe. Il date probablement du temps où le Monde Arabe était lui-même debout et pendant lequel la notion d'arabité était synonyme de modernité, de savoir et de progrès.

La littérature contemporaine, les médias et les assemblées savantes n'ont de cesse de nous ressasser cette époque glorieuse, unique phare lumineux de notre histoire. Il est vrai que l'être humain -même l'Arabe- a besoin d'un passé glorieux et des héros à profusion pour entretenir aussi bien son ego que son appartenance sociale. Les manuels scolaires d'histoire de tous les pays foisonnent de personnages plus grands que nature et de récits épiques quasi-mythologiques. Cependant, l'être humain -surtout l'Arabe- a singulièrement besoin d'un présent plus serein et d'un futur tangiblement radieux. Est-ce le cas en ce qui nous concerne? Non. Le monde arabe est à genoux. Que dis-je? À plat ventre serait plus juste.

Savez-vous, par exemple, que chacune des langues des pays scandinaves (suédois, danois, norvégien, finnois) publie autant que la vingtaine de pays arabes réunis ou qu'un Québécois francophone publie proportionnellement 30 fois plus de volumes qu'un arabophone [1]? Que la Grèce traduit cinq fois plus de livres que tous les pays arabes réunis ou que dans le monde arabe l'analphabétisme atteint 50% des femmes? Que les pays arabes ont les niveaux de financement de la recherche les plus faibles au monde [2]?

Au « désert culturel » [3] s'ajoute un désert économique, politique et social. Un désert aride qui fait fuir aussi bien les lettrés via les visas d'immigration que les simples citoyens via de frêles barques, vidant ainsi les pays arabes de leur substance vitale: l'Homme.

À l'exil géographique s'ajoute, de surcroît, un exil identitaire. Ainsi, bon nombre d'immigrants arabes musulmans donnent des prénoms chrétiens occidentaux à leurs enfants comme si l'appartenance à la Nation Arabe était une maladie qu'il fallait honteusement cacher. « C'est pour mieux les intégrer dans la société d'accueil », semble-t-il (sic).

Même les Arabes chrétiens vivant en Occident, s'acharnent pour prénommer leur progéniture avec des noms typiquement occidentaux. Je me rappelle ma stupeur lorsqu'un de mes élèves, syrien chrétien, m'a demandé s'il m'était possible de l'appeler Joseph au lieu Youssef, son réel prénom comme si le seul fait de s'affranchir de la « tare arabe » audible à la prononciation de son prénom le rendait heureux. Quand on pense que les Arabes chrétiens ont été historiquement les plus grands promoteurs de l'arabité!

L'exemple le plus flagrant de cette aversion de la notion d'arabité m'a été donné à plusieurs reprises par certains citoyens algériens d'origine berbère. En se présentant aux Québécois, ils se disent Algériens, mais ajoutent toujours, à brûle-pourpoint, « mais pas arabe, berbère! ». Ils se sentent l'obligation de faire cette précision comme s'ils allaient en tirer un profit quelconque, un statut plus enviable que celui d'un Algérien «arabe». Un Québécois ne lui dira jamais son origine française, irlandaise ou autre. Quelle qu'elle soit, il est fier d'appartenir à sa nation et à sa culture québécoises actuelles.

Pourtant, les Berbères et les Arabes ont vécu ensemble, au Maghreb, des siècles avant même que Jacques Cartier n'accoste sur les rives du Saint-Laurent.

On peut aussi citer le cas de ce jeune étudiant de prénom arabe, qui, à la fin d'un show estudiantin a tenu à « clarifier » qu'il était iranien et non arabe; de ce jeune adolescent turc qui a demandé qu'on l'appelle Alexandre au lieu d'Iskander; de ces jeunes libanais chrétiens qui se disent phéniciens et non arabes... Les exemples de cette volonté d'affranchissement maladive de la notion d'arabité sont nombreux et révélateurs d'une inimitié profonde. Cette situation est d'autant plus déplorable qu'elle touche de jeunes étudiants, qui, naturellement, sont plus ouverts aux autres cultures et ne s'évertuent pas à gommer des pans de leur histoire.

On est loin du temps où l'arabe était la langue du savoir et où les chrétiens et les juifs se donnaient des noms arabes. Citons, à ce titre, quelques exemples. Surnommé « maître des traducteurs de l'Islam » Hunayn ibn Ishaq (809-873) était médecin et scientifique arabe chrétien important, surtout connu pour avoir traduit des ouvrages grecs en arabe. L'évêque Johannès de Cordoue s'appelait aussi Asbag Ibn Abdallah [4]. Les mozarabes, chrétiens ayant conservé leur religion sous la domination musulmane en Andalousie, parlaient l'arabe et beaucoup adoptèrent des noms et des coutumes arabo-musulmans. Leur liturgie était dite en arabe et leurs femmes avaient l'habitude de sortir voilées [5]. Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250), roi de Sicile, de Germanie, de Jérusalem et empereur du Saint Empire était un fin connaisseur de la langue et de la culture arabe [6]. Il avait été éduqué par un juge musulman de Palerme et aimait s'habiller à l'orientale. Il fut excommunié pour, entre autres, son admiration de la civilisation arabo-musulmane [7]. Des croisés célèbres comme Renaud de Châtillon ou Baudouin d'Ibelin ont appris l'arabe et adoptèrent les habitudes de vie orientales [8]. Dans l'Espagne musulmane, des philosophes de confession juive comme Yehuda Halevy ou Maïmonide écrivaient en arabe. Ce dernier était connu sous le nom de Mussa bin Maimun ibn Abdallah al-Kurtubi al-Israili [9]. Avenzoar (1091-1162).

Faut-il aussi rappeler que le célèbre scientifique Ibn Sina (Avicennes) était ouzbek? Que l'illustre médecin Al Razi (Rhases) était iranien ? Ou que le mathématicien Thabit Ibn Qurra (Thebit) était turc?

Cette conception de l'arabité comme synonyme de décadence et de médiocrité n'est pas un phénomène récent. Il n'y a qu'à se rappeler les « réformes occidentalisantes » de Mustafa Kemal Atatürk qui remplaça l'alphabet arabe par l'alphabet latin. Le « père des Turcs » ne saura malheureusement jamais que, 69 ans après son décès, l'occidentalisation de la Turquie et son adhésion à l'Union Européenne ne sont, plus que jamais, que des chimères.

Un second exemple nous parvient de Malte dont la langue, à forte consonance arabe, ressemble étrangement à l'arabe dialectal maghrébin. En maltais, le poulet se dit «fellus», la pastèque « dulliegha », l'eau « ilma » et le marché « is-suq ». De 1860 à 1940, la scène politique maltaise a été dominée par un farouche débat linguistique. L'origine arabe du maltais posait problème à ce peuple catholique. Elle était fortement associée à la religion musulmane ce qui était inacceptable pour les élites qui préférait l'utilisation de l'italien. L'invention d'une origine phénicienne à cette langue a été un argument prôné par les partisans de l'adoption du maltais comme langue nationale. Cela était plus acceptable que «l'odieuse» origine arabe.

Finalement, le maltais et l'anglais ont été adoptés comme langues nationales de l'île. Comme le turc, le maltais s'est conçu un alphabet latin adéquat. Ce débat centenaire n'est, de nos jours, pas encore clos car bon nombre de citoyens continuent de souhaiter l'abandon du maltais au profit de l'anglais : cela ferait d'eux des européens et non des orientaux [10].

Ce n'est malheureusement pas en optant pour un prénom chrétien occidental que l'on s'intègre dans une société d'accueil ou en effaçant à tout prix, de la mémoire collective, une appartenance culturelle à l'arabité. C'est plutôt en montrant, en tant qu'être humain, notre capacité à jouer un rôle actif, positif et concret dans cette société que l'acceptation sera effective.

En ce qui me concerne, ma fierté d'être algérien, arabe et musulman n'a d'égale que celle de la non négligeable proportion de sang berbère qui, comme tous les Algériens, coule probablement dans mes veines.

Le soleil d'Allah brille sur l'Occident écrivait Sigrid Hunke [11]. Faudrait-il qu'il brille d'abord dans nos cœurs.

 


Références:

1. Trésor de la langue française au Québec. (Page consultée le 12 juin 2007). L'expansion des langues, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.tlfq.ulaval.ca/AXL/Langue..._expansion.htm

2. Rapport arabe sur le développement humain 2002. « Créer des opportunités pour les générations futures ». Programme des Nations Unies pour le Développement.

3. Expression utilisée par Abdelwahab Meddeb dans « La période la plus noire de l'histoire des Arabes », L'Histoire, N° 272, janvier 2003, p. 76-77.

4. Institut du Monde Arabe. (Page consultée le 11 juin 2007). L'apport des arabes à la civilisation, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.imarabe.org/portail/monde...e/docs/45.html

5. Wikipedia. (Page consultée le 12 juin 2007). Les mozarabes, [En Ligne]. Adresse URL: http://fr.wikipedia.org/wiki/Mozarabe

6. Français et Monde Arabe. (Page consultée le 12 juin 2007). L'Orient dans mon assiette ou le dialogue des cultures, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.francais-mondearabe.net/spip.php?article568

7. Hadj Habib Hireche. 2007. « Rapport entre foi et raison dans les traditions chrétienne et islamique (2ème partie)». Le Quotidien d'Oran, 11 juin, p. 8.

8. Marie-Adelaïde Nielen. (Page consultée le 12 juin 2007). Ensemble_mais chacun chez soi, [En Ligne]. Adresse URL: http://nonnobisdominenonnobissednomi...iam.unblog.fr/
2007/05/10/ensemble...mais chacun chez soi/


9. Wikipedia. (Page consultée le 12 juin 2007). Maïmonide, [En Ligne]. Adresse URL: http://fr.wikipedia.org/wiki/Maïmonide

10. Wikipedia. (Page consultée le 13 juin 2007). Maltais, [En Ligne]. Adresse URL: http://fr.wikipedia.org/wiki/Maltais

11. Hunke, Sigrid. Le soleil d'Allah brille sur l'occident : notre héritage arabe, Paris, Albin Michel, 1963, 414 p.


 


Cet article a été publié dans les colonnes du Quotidien d'Oran, le 2 août 2007

 


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